Quels sont les dessous idéologiques de la décision de Donald Trump d’instaurer des droits de douane dits réciproques à de nombreux pays ? Pourquoi pense-t-il qu’il s’agit d’une bonne chose pour l’économie américaine ? Arnaud Leparmentier, correspondant du « Monde » à New York, répond à vos questions.

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Le président américain Donald Trump sur le point d’embarquer pour sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride, depuis l’aéroport de Miami le 3 avril 2025. - MANDEL NGAN / AFP
Le président américain Donald Trump sur le point d’embarquer pour sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride, depuis l’aéroport de Miami le 3 avril 2025. MANDEL NGAN / AFP

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Excellent sujet. Les économistes tablaient sur une envolée du dollar avec les droits de douane (si les Etats-Unis n’importent pas, la demande de devise étrangère baisse). On était à 1 euro valant 1,02 dollars en janvier. Depuis, tout s’est inversé, avec l’euro cotant 1,10. On est dans un phénomène de défiance vis à vis des Etats-Unis et du dollar. Le sujet des devises est des plus compliqués, mais à court terme, il n’y a pas de remplaçant ferme.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Les anciens présidents des Etats-Unis sont habituellement sur la réserve. Notez que la doctrine protectionniste a été confortée par Jack Sulivan, conseiller de Joe Biden, dans un discours à la Brookings Institution en 2023. Il invoquait la Russie, la crise financière et la déprime des cols bleus, la menace de la Chine, le choc ahurisssant du Covid-19 pour justifier la fin du « consensus de Washington », c’est-à-dire la mondialisation. Donc la manière de Trump est jugée ahurissante, mais il arrive après quinze ans de discours très « America First », républicains mais aussi en partie démocrates.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Non, la science économique n’est pas morte. Simplement, Donald Trump ne la suit pas. Les Etats-Unis ont une très longue histoire de droits de doaune – ils sont nés d’une révolte fiscale contre les Anglais –, ils sont un continent qui peut être semi-autonome (à la différence de l’Europe, ils ont tech, énergie, ressources agricoles), et l’ont été très souvent à la fin du XIXe siècle et même après 1945, même s’ils se sont alors engagés dans une phase d’ouverture d’un demi-siècle.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Bonjour,

Je pense que Trump table sur une remontée de la Bourse avant les midterms. Personnellement, je n’y crois pas, la majorité républicaine à la Chambre est très tenue et la violence des politiques Trump, à mon avis, lui feront perdre ce scrutin.

Mais c’est dans dix-huit mois alors qu’on a à peine commencé le mandat. Ensuite, le rejet viendra pour des considérations intérieures à 98 %.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Bonjour,

Je ne suis pas technicien, mais je pense que ce tchat ne pourrait pas avoir lieu sans Microsoft ou Google.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

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D’abord, sur le commerce, c’est la Commission européenne et les Allemands qui ont la main.

Ensuite, par définition, celui qui est en excédent commercial n’a pas la main. La France est marginale, beaucoup moins concernée dans ce conflit, même si elle exporte des produits de luxe et de l’aéronautique.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Jusqu’à la guerre commerciale de Trump, les entreprises voulaient toutes investir aux Etats-Unis, pays de croissance, d’énergie bon marché et d’impôts réduits. Elles sont échaudées par les guerres commerciales qui rendent très compliquées les prévisions.

L’humiliation de l’Europe suscite un peu un sursaut, et les entreprises disent que le Vieux Continent, notamment l’Allemagne, va peut-être réinvestir. Mais des groupes comme TotalEnergies, LVMH, CGM, Schneider, Saint-Gobain vont continuer, à mon avis, d’investir aux Etats-Unis.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Bonjour Chris,

Oui, l’administration Trump a fait des calculs très bizarres, taxé ces îles inhabitées.

On peut passer son temps à ridiculiser Trump, c’est facile, car lui et son administration ont un côté bouffon, mais c’est rater l’essentiel : ils sont très déterminés et viennent de déclencher une guerre commerciale mondiale inédite depuis les années 1930. C’est très grave.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Bonjour,

C’est le grand débat. Depuis des décennies, la mondialisation et la libéralisation des échanges se sont faites sur le principe du gagnant-gagnant, chacun devant produire ce qu’il sait le mieux faire relativement. Toutefois, ce débat a été questionné par l’arrivée de la Chine dans l’OMC en 2001, les délocalisations au Mexique.

Et même si les Etats-Unis étaient globalement gagnants, il n’est pas sûr que les ouvriers l’aient été. C’est en tout cas l’argumentaire de Donald Trump. De surcroît, il ne croit que dans la loi du plus fort, l’intimidation. Fondamentalement, il pense qu’il n’y a dans l’univers que des prédateurs et des proies.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Les Chinois ont riposté, les Européens sont dans l’hésitation ; ils hésitent entre riposter et attaquer les groupes numériques américains.

Mais c’est très délicat : l’Europe ne peut pas vivre sans les Gafam et ne peut pas s’exposer à un boycott américain. L’autre solution est d’avaler les 20 % de droits de douane un peu honteusement, en se disant que c’est un pis-aller.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Oui, Donald Trump a des conseillers. Son secrétaire au Trésor, Scott Bessent, avait expliqué que les droits de douane étaient un instrument de négociation : le propos a failli lui coûter son poste et les faits lui donnent tort.

D’autres, comme Peter Navarro et le secrétaire au commerce, Howard Lutnick, sont vraiment anticommerce et veulent une renationalisation de la production américaine. Un troisième, Stephen Miran, a publié un long article expliquant que la faute revenait au dollar, surévalué, car il sert de monnaie de réserve, et que la solution était grosso modo de forcer les investisseurs étrangers à financer à prix réduit le déficit américain.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Bonjour Arno,

Le rapatriement est très complexe en effet : les Etats-Unis n’arrivent pas à construire les usines lancées sous Joe Biden en raison du manque de main-d’œuvre dans le BTP – pénurie d’électriciens, etc.

Ensuite, ce rapatriement ne peut pas tout concerner : les Etats-Unis ne vont pas se relancer dans le textile, par exemple. C’est pourquoi ils ont besoin de pays amis pour sous-traiter. Je note que le Mexique est relativement épargné. J’ai été très surpris par la taxation considérable du Vietnam, qui est censé contourner la Chine, mais une négociation est peut-être possible.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Si les droits de douane sont maintenus, ils pourraient coûter environ 5 000 dollars par ménage. Dans le détail, les plus fortes hausses concerneraient le prix des automobiles, qui pourraient augmenter de 5 000 dollars au moins alors qu’un véhicule neuf en coûte 45 000 environ.

Ensuite, certains produits à faible valeur ajoutée vont être taxés, comme le textile d’Inde, mais c’est le prix à l’entrée sur le territoire américain qui servira de référence. Un droit de douane de 40 % sur les chemises fera augmenter le prix mais en proportion moindre.

Enfin, des produits à valeur stable – le vin, le champagne – vont subir de plein fouet la hausse.

L’affaire va donc relancer l’inflation.

L’impact pour les Américains, à court terme, réside avant tout dans la chute de la Bourse (leur compte d’épargne retraite et les fonds mis de côté pour payer les études des enfants reculent brutalement), la récession qui risque d’arriver.

C’est pour cela que Donald Trump demande sans cesse que les baisses d’impôt qu’il a promises soient adoptées par le Congrès

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Bonjour Greg,

Merci. Tous les patrons américains ont fait allégeance à Donald Trump. Jamie Dimon, le patron de la banque J.P. Morgan, avait commencé début 2024. Les magnats de la tech, tel Jeff Bezos et Mark Zuckerberg, l’ont fait au moment de l’élection.

Plusieurs explications :

– le premier mandat de Donald Trump avait été extraordinaire pour le commerce international à grande échelle, avec baisse d’impôts à la clé et guerre commerciale bénigne ;

– les patrons américains ont cru à tort qu’il en serait de même pour le second mandat ;

– et puis, ils sont censés ne plus faire que du business et vivent dans la peur de l’instrumentalisation des pouvoirs fédéraux contre eux. C’est un concours de peur et de lâcheté, si on peut se permettre un commentaire.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Bonjour,

L’argumentaire de Donald Trump se fonde sur plusieurs arguments.

Il déplore le déficit commercial majeur des Etats-Unis, expliquant que c’est parce que les autres pays sont fermés. Les Européens disent que le commerce extérieur n’a pas d’importance et que c’est parce que les Américains n’épargnent pas assez.

Ensuite, il dit que les droits sont plus élevés chez les autres : c’est vrai. Selon une compilation du New York Times, ces droits s’élèvent à 3 % pour les Etats-Unis, 5 % pour l’Europe, 8 % pour la Chine et 17 % pour l’Inde. C’est parce qu’au fil des accords de l’OMC les pays ont désarmé de façon différente leurs droits de douane, la négociation étant beaucoup plus globale, sur les accès aux marchés, les investissements, les services.

C’est d’ailleurs la nouveauté : Donald Trump dénonce les barrières non douanières, imposées au nom de l’exception culturelle, les normes sanitaires (on ne peut pas importer en Europe du veau aux hormones ou du poulet au chlore).

Tous ces arguments nourrissent le discours d’une Amérique victime du système

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Ce risque est majeur pour les entreprises américaines qui sont intégrées sur la planète, comme Nike avec ses chaussures faites au Vietnam, Apple et ses iPhone en Chine, General Motors au Mexique et au Canada.

Il ne faut pas oublier que Donald Trump est populiste, il prétend ne pas faire de politique pour Wall Street, mais Main Street. Son obsession est de ramener l’emploi industriel aux Etats-Unis. Le pays en a perdu 5 millions depuis l’an 2000, mais en a créé environ 28 millions dans les services. Depuis 2019, en dépit des programmes de réindustrialisation de Joe Biden, le pays ne crée pas d’emplois dans l’industrie manufacturière. Or ce sont les ouvriers qui sont décisifs dans les Etats-clés lors de l’élection présidentielle.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Bonjour Chris,

Deux remarques. D’abord, il s’agit d’une conviction ancienne et durable de Donald Trump. Dès septembre 1987, alors qu’il était promoteur immobilier à New York, il s’était offert une page de publicité dans le New York Times pour attaquer le Japon, accusé de profiter des Etats-Unis en ayant 1 yen sous-évalué, en ne payant pas sa défense, en exploitant l’Amérique. Rien n’a changé chez Donald Trump en quarante ans.

Ensuite, paradoxalement, il n’agit pas à court terme. Comme le dit Jason Furman, ancien conseiller de Barack Obama, Donald Trump est l’un des rares responsables politiques qui prend des mesures qui font mal à court terme et l’assume en le disant aux Américains. Après, ajoute Jason Furman, à long terme, ce sera très négatif.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)

Donald Trump assure qu’il ne « changera jamais de politique »

Donald Trump a affirmé vendredi dans un message sur Truth Social qu’il ne « changerait jamais de politique », tandis que la guerre commerciale qu’il a lancée fait plonger les marchés mondiaux.

« Aux nombreux investisseurs qui viennent aux Etats-Unis investir d’énormes montants d’argent, sachez que je ne changerai jamais de politique. C’est un bon moment pour devenir riche, plus riche que jamais », a écrit le président américain en lettres majuscules.

Visualisez la part des exportations des pays vers les Etats-Unis dans leur PIB

Le CAC 40 plonge vendredi et efface tous ses gains depuis le 1ᵉʳ janvier

L’indice vedette de la Bourse de Paris, le CAC 40, plongeait vendredi et effaçait tous ses gains depuis le 1er janvier en raison de l’escalade des tensions commerciales opposant les Etats-Unis et la Chine. Vers 14 h 25, le CAC 40 dégringolait de 3,96 %, cédant 300,72 points pour s’établir à 7 298, 26 points. Il s’affichait en repli de 1,09 % depuis le 1er janvier.

« L’Europe prévoit d’annoncer des mesures de rétorsion prochainement et la Chine a déjà réagi avec 34 % de hausse de ses droits de douane sur les importations américaines, de quoi entretenir l’escalade », commentent les analystes de Natixis. « L’espoir de conclure quelques accords avant le 9 avril, date d’entrée en vigueur des droits de douane réciproques des Etats-Unis, persiste. Toutefois, à mesure que nous nous rapprochons de cette date, il semble que la guerre commerciale ne fasse que s’intensifier, la Chine – et bientôt d’autres pays – prenant des contre-mesures », d’après Fawad Razaqzada, analyste de City Index.

« Par exemple, Emmanuel Macron a déclaré jeudi que les entreprises françaises devraient suspendre leurs investissements aux Etats-Unis », a souligné Jim Reid, économiste de la Deutsche Bank dans une note vendredi matin. « Le deuxième volet qui est en train de poindre, c’est l’aspect récession aux Etats-Unis et à plus grande échelle. » Le marché se dit que la guerre commerciale va finir par avoir de « dures conséquences sur le consommateur à travers le monde », explique Guillaume Chaloin, directeur de la gestion actions de Delubac AM. « Les craintes d’une récession signifient moins d’industrie et moins de consommation de pétrole », plombant valeurs industrielles et pétrolières.

Saint-Gobain chutait de 8,64 %, ArcelorMittal de 8,61 %, Schneider Electric de 7,11 %, Airbus de 5,70 % et Thales de 5,23 %. TotalEnergies abandonnait 4,40 %. Des valeurs comme Danone (+ 0,74 %) et Air liquide (+ 1,24 %) progressaient. Elles subissent largement moins « les conséquences des problématiques des droits de douane », selon M. Chaloin. Ce sont par ailleurs les deux seules valeurs du CAC 40 dans le vert.

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