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Chronique

auteur

Jean-Michel Bezat

Alors que le territoire russe s’étend sur onze fuseaux horaires et que le transport aérien est vital pour lui, 95 % des Russes volent en Boeing ou en Airbus, signe du décrochage de Moscou, constate Jean-Michel Bezat, journaliste économique au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 11h30 Temps de Lecture 1 min.

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Des modèles d’avions militaires Tupolev survolent Moscou lors d’une parade militaire commémorant la fin de la seconde guerre mondiale, le 4 mai 2022.

Veut-on un seul exemple du retard technologique et industriel de la Russie sur les Etats-Unis, l’Europe et désormais la Chine ? Il suffit de prendre celui de l’aéronautique civile. Son président, Vladimir Poutine, bombe le torse, mais depuis la chute de l’URSS, son pays est incapable de produire seul et en grande série des avions commerciaux fiables – a fortiori exportables. Alors que le territoire russe s’étend sur onze fuseaux horaires et que le transport aérien est vital pour lui, 95 % des Russes volent en Boeing ou en Airbus.

Le gouvernement trompette depuis des années sa volonté d’en finir avec cette dépendance, sans trop crier sur les toits qu’il y est contraint par les sanctions frappant la Russie depuis son invasion de l’Ukraine en février 2022.

Le holding public OAK a annoncé, lundi 25 novembre, « prendre le contrôle direct de la gestion des programmes » des avionneurs Yakovlev et Tupolev, et le limogeage de leurs patrons. L’entreprise devra « remplacer les importations » et « lancer la production en série d’avions de ligne civils nationaux dans des délais serrés et sans précédent ».

Cannibalisation des vieux appareils

Comme au temps du Gosplan soviétique, Poutine a fixé des objectifs irréalistes. Alors que Boeing et Airbus ne peuvent tenir les cadences en raison de tensions sur leur « supply chain », comment une industrie sous sanctions tiendrait-elle le rythme ? Moscou ne parvient pas à développer en grande série son avion de 100 places SJ-100 de Soukhoï ; le MC-21 d’Irkut censé concurrencer l’A320 et le Boeing 737 n’est pas certifié ; quelques Tupolev 214 sortent des usines, mais leur conception date de la fin des années 1980 ; et il a dû renoncer au développement du long-courrier CR919 avec les Chinois.

Il y a pourtant urgence. L’âge moyen de la flotte de 1 000 aéronefs augmente (14,6 ans) et sa maintenance est de plus en plus difficile faute de pièces détachées et de mises à jour des logiciels. A ce jour, 34 des 66 A320-A321neo sont inexploitables, selon le journal Kommersant. Au rythme de la cannibalisation de vieux appareils pour maintenir les autres en état de vol, la moitié sera clouée sur le tarmac dans un an, calcule le cabinet Oliver Wyman. S’il n’y a pas eu de catastrophe, les incidents se multiplient depuis deux ans et demi. L’aéronautique est un secteur de très haute technologie où la sécurité prime sur toute autre considération. Il est plus facile de remplacer les yaourts de Danone ou les hamburgers de McDonald’s que les avions d’Airbus.

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